Le chat, Clémentine et le sous-marin

Je raconte beaucoup d’histoires… Alors pourquoi ne pas en coucher quelques unes sur le papier ? 
Tout l’été, je vous ai parlé de  »mon » sous-marin jaune, qui flotte sur Bickerseiland. Il m’a inspiré un mini-conte, et j’ai eu la chance inouïe d’embringuer Clémentine, blogueuse illustratrice qui croque avec malice ses tribulations sur les canaux (notamment pour Courrier Expats), dans l’aventure !

© Clémentine Latron
‘’S’il te plait, Clémentine dessine-moi le sous-marin canari. Tu sais, LE sous-marin d’Amsterdam, celui qui règne sur l’Ile du Prince’’
Bien sûr, me répond Clémentine – mais pour quels mots ce dessin, quelle est l’histoire du sous-marin ?

Me voilà bien embêtée : l’histoire exacte, j’la connais pas. De mon yellow discret dans les canaux, je connais les légendes urbaines – parvenues d’un museau jusqu’à mon oreille.

Alors voilà.
Je vais vous raconter comment je l’ai rencontré – un doux mardi de mai. Au gré du hasard je déambulais, quand au bout de la petite allée pavée, je l’ai débusqué. Tranquille et gracile, il m’attendait, dans sa cour de canards, de voiliers et de potagers.

Avec mon amie je me suis assoupie, sur le ponton ronronnant au soleil du printemps.
Ce jour là, j’arborais fièrement – à mes oreilles pendant – des chatons en argent, du genre indépendants. Sortie de ma rêverie, soudain, Julie étouffe un cri : l’un des deux compères est parti. Plus qu’une boucle-d’oreille, me crie-t-elle !
En effet, le curieux barbotait, se vautrait, dans la mousse ouatée qui pave le canal. Copains comme cochons already, le chaton gris conversait dans les ondes aquatiques avec le sous-marin canari.

Va le chercher, me crie Julie – ou dans la vase à jamais il va s’enferrer.
Tel un cabri je bondis et dans l’eau trouble, j’intercepte ce récit :

LE SOUS-MARIN : Tiens ! Un chaton d’eau – c’est rigolo ! Que viens-tu faire dans mes canaux ?

LE CHATON : C’est bien simple – je dorais au soleil et vois-tu, je suis tombé. Et toi, sous-marin de bassin, comment jusqu’ici es-tu donc arrivé ?

LE SOUS-MARIN : Sous-marin de bassin !? Impertinent chat gris, tu apprendras qu’ici je trône sans souci. Je suis le roi de ce quartier. Dans Amsterdam désormais, je suis une figure, une notabilité. Dans mes eaux les enfants viennent plonger, dans mes jardins les amoureux babiller. Je transforme ce ponton en grève ensoleillée, où il fait bon pique-niquer, s’enivrer, rêvasser…

LE CHATON, savamment contrit : Toutes mes excuses, maestro amphibie. Je n’imaginais pas que cette chute aquatique me ferait rencontrer le grand Poséidon, dit Le Dithyrambique… Puis-je te demander quels courants, quelles marées jusque dans nos canaux t’ont donc entrainé ?

LE SOUS-MARIN, ravi de poursuivre son récit :
Les habitants de ce petit paradis m’ont adopté après un long voyage en apnée, depuis Paris. Là bas sur la Seine, je voguais, et les oiseaux de nuit en mon flanc venaient danser. Je bruissais de mille flashs, rayonnais noctambule jusqu’à l’aube quand ma robe citronnée éclipsait le grand jour : j’étais une boite de nuit, un soleil de minuit, un dance-floor en roulis.
Avant ça, une autre vie : les bas-fonds j’aurais sondé pour faire avancer la recherche et la science – qui sait ?
Maintenant les tours-guides racontent (je les entends parfois) que je cache en mon sein un salon première classe, salle de billard – swimming pool – et velours rapiécé, à l’usage privé de mes propriétaires.

Tout cela est-il bien vrai…? J’aime à laisser le doute planer. Qu’en penses-tu, petit chat, qui coule sans nager ?

MON CHATON, peu surpris : En effet mon ami, mieux vaut peut-être rêver les neufs vies des sous-marins canaris.
Garde donc tes vérités et laisse les oiseaux, les poules d’eau, les bateaux colporter tes ragots. Oh mais qui vois-je arriver ? Anne sous ton gros ventre s’est aventurée pour me récupérer !

A ces mots les deux compères se turent : il n’est pas admis qu’un chat gris et un bathyscaphe de ville pépient – même un mardi !

J’ai sauvé mon compagnon baroudeur, qui orne depuis toujours mes oreilles apprêtées. Chaque fois que je l’arbore, je raconte les histoires du Yellow d’Amsterdam, et je rejoins le fleuve de tous les racontars. Comme promis, je poursuis l’œuvre des bateaux, des poules d’eau, des oiseaux ; et propage les légendes du Roi de nos canaux.
Je passe mes étés hollandais à plonger dans ses eaux et j’ai même convié Clémentine aux doigts de fée à tirer son portrait. Car une légende urbaine mérite son conte illustré – et chaque fois que j’y vais, j’entends à mes oreilles mes grands-petits chats gris doucement s’égayer.